Un café au goût de numérique

À Rennes, Bourbon d’Arsel propose des cafés exigeants à une clientèle d’amateurs chevronnés. Pendant le confinement, ses deux fondateurs ont opté pour une stratégie digitale combative afin de continuer à faire croître leur affaire et leur communauté de passionnés.

À 37 ans, Benoît Le Bigot est un épicurien passionné par le vin, la gastronomie et le café : « Ce goût pour les arômes me vient de mes parents, confie-t-il. J’ai un père gourmet, qui aime la bonne chère et a éduqué mon palais. » L’idée de monter une boutique de café de spécialité germe dans son esprit alors qu’il est commercial : « Les gens s’intéressent de plus en plus au café, comme ils l’ont fait avec le vin. On y trouve d’ailleurs autant de variétés et de subtilités. » Pour se lancer, il fait appel à son ami Sébastien Dufils, dont le profil de gestionnaire est complémentaire avec le sien. Mieux, l’homme de 51 ans possède aussi un CAP en cuisine qui lui permet d’ajouter quelques plats faits maison à la carte de leur entreprise.

 

Bourbon d’Arsel ouvre en 2017. Ce salon exigeant hisse le café au rang de produit haut de gamme. « Le café de spécialité, c’est 2% du marché français, précise Benoît. Nous sommes peu nombreux à en proposer. Ce sont des cafés nés en haute altitude, avec des arômes plus subtils, des notes variées et riches. Nos cafés viennent d’Ethiopie, du Brésil, ou du Salvador et nous connaissons tous les producteurs. » La boutique, où trône le torréfacteur, a été pensée comme un lieu de rencontres :
« L’idée de ce salon m’évoquait les lieux d’écriture, d’échanges culturels, raconte Sébastien. Balzac était par exemple un grand consommateur de café. »

De la rentabilité… à la fermeture

En mars 2020, le premier confinement est un coup de massue : Benoît se remémore cette fermeture forcée, au moment où leur entreprise prenait son envol : « C’était très dur moralement. Nous étions ouverts depuis trois ans, nous avions déjà connu les Gilets Jaunes, les manifestations contre la réforme des retraites avec la fermeture les samedis… Pourtant, au milieu de notre troisième année, notre comptable nous disait que nous étions au-dessus de l’équilibre, et que nous pouvions même augmenter nos salaires. Le lendemain, on devait fermer la boutique. » Heureusement quand la crise arrive, le duo a quelques solides notions dans le développement en ligne. Il les doit notamment aux Ateliers Numériques de Google France à qui il loue par ailleurs des machines sans capsules et plus respectueuses de l’environnement. « Nous avions échangé avec la responsable de l’atelier de Rennes par le biais d’un réseau de professionnels, se souvient Benoît. Après avoir installé la machine chez eux, je me suis intéressé à leurs formations et j’ai eu envie d’y participer. »

Rebondir via le numérique

Le duo, qui à l’époque n’a qu’un site vitrine, découvre la problématique du référencement et la nécessité d’organiser correctement les contenus pour optimiser la visibilité de leur marque. « L’Atelier Numérique de Google nous a beaucoup aidés pour cela : nous avons pu assister à des conférences, et surtout recevoir une formation gratuite avec un coach » explique Benoît.

Quand le mois de mars et le confinement réduisent à zéro l’activité de la boutique, les deux fondateurs savent quoi faire. « Nous étions abasourdis. Mais nous avons réfléchi tout de suite à la façon de réagir, se souvient Sébastien. Nous avons enrichi notre boutique en ligne, développé la communication sur Internet et démarré les envois de commandes par mail et en click and collect. »

Créer et fidéliser en ligne la communauté de passionnés

Le numérique prend depuis une place croissante dans leur développement, et les deux associés en font un des axes de leur stratégie marketing. « Avec Google Analytics, je peux voir combien de personnes vont sur le site par jour ou par mois, et je sais d’où ils viennent : Bretagne, Paris, et même les États-Unis ! Si les gens autorisent les cookies, on sait sur quelle page ils vont, ce qui permet d’adapter l’offre ». Benoît et Sébastien revoient la structure de leur site internet, optimisent l’affichage, améliorent la version mobile…
Les clients habituels se mettent immédiatement à commander, et bientôt de nouveaux passionnés rejoignent cette communauté de goût. « Ce sont des clients qui se sont intéressés à notre café de spécialité et sont restés fidèles depuis. ».

Forts de cette première expérience, l’annonce du second confinement a résonné de façon moins brutale : « Les clients avaient pris l’habitude, donc les commandes ont redémarré assez vite, explique Sébastien. Les outils que nous avons développés nous avaient aidés et nous savions donc que des adaptations étaient possibles. Aujourd’hui, la vente en ligne représente 20% de notre chiffre global. » Surtout, le duo a intégré l’importance de maintenir un lien avec sa clientèle via le digital : « Avec Google My Business, je peux répondre aux commentaires sur Internet, continue Benoît. Nous avons une centaine d’avis actuellement, largement positifs, ce qui est super encourageant. »

Mais malgré cette croissance, les fermetures successives inquiètent Benoit : « J’ai l’impression d’avoir à peine eu le temps de souffler qu’on a dû refermer. Après le premier confinement, nous avons fait 25 % de plus de chiffre d’affaires par rapport au mois de juin de l’année d’avant. On espère une reprise aussi forte à l’issue de ce second confinement. »

Nouvelles formations et démarche responsable

Désormais, le mot d’ordre est la flexibilité. Digital et ventes physiques se complètent, à raison de quatre commandes par jour en moyenne sur le site : « Comme nous faisons de la restauration, nous avons rouvert uniquement en click and collect, à emporter ou en livraison, tous les jours sauf le dimanche, de 8h à 18h. Le samedi, jour de marché à Rennes, ce sont les habitués qui viennent acheter leur café », précise Benoît.

Confiant, il pense à l’après, animé par les mêmes valeurs et désireux d’aller plus loin dans sa démarche responsable : « Notre volonté est de faire un café éthique de A à Z, pour rendre hommage aux cultivateurs. Je veux que lorsque les gens boivent leur café, ils soient en mesure de savoir d’où il vient, et qui a travaillé dessus. Nous allons aussi reverser un pourcentage de nos ventes à une association qui me tient à cœur. »

Pour cette nouvelle phase de l’aventure déjà riche de Bourbon d’Arsel, le numérique sera toujours une des clefs essentielles. Benoît et Sébastien feront de nouveau appel à l’Atelier Numérique de Rennes. « Nous en étions au premier module de formation, nous continuerons après le confinement, c’est certain. Les outils qu’ils nous ont apportés nous ont énormément aidés, l’équipe était dynamique et motivante. Nous voulons améliorer encore le site internet : son ergonomie, le référencement, le flux… Au final, un site est comme un véritable magasin, il faut avoir une belle vitrine, de beaux produits, et une belle histoire à raconter. »

Découvrez « Ma vitrine en ligne » un service gratuit proposé par Google pour aider les commerces à être visibles et à vendre en ligne.

Benoît Le Bigot

Bonjour Benoît, peux-tu te présenter ?

J’ai 38 ans, je suis marié et j’ai deux enfants de 8 et 12 ans. Je suis breton et rennais plus précisément !

Peux-tu nous raconter ton parcours ?

J’ai toujours été passionné de gastronomie et d’oenologie.

Quand j’étais enfant, lors des déjeuners du dimanche, mon père m’apprenait à goûter de tout. Je lui dois beaucoup !

On m’a orienté en BEP car je n’étais pas bon à l’école, puis en bac pro commerce. Je me suis épanoui grâce à tout ce que j’ai appris, notamment en vendant des lacets dans des foires. C’est vraiment dommage que ces cursus soient mal perçus ou dévalorisés, car j’ai toujours été heureux professionnellement.

Après un BTS en alternance, durant lequel j’ai travaillé pour une saumonerie artisanale, j’ai travaillé dans le métier de la distribution automatique pendant 10 ans. J’étais chargé d’installer des distributeurs de café dans des entreprises. 

J’avais toujours eu envie de monter une boîte et j’ai cherché ce qui pourrait être en adéquation avec les secteurs qui me plaisaient. Le café de spécialité (café rare et de qualité supérieure) était alors en plein développement. Ça collait avec le fait d’avoir vendu du café à des entreprises pendant 10 ans, ainsi qu’avec mon attirance pour les produits de qualité.  

Pendant mes vacances et sur mes économies, je me suis formé grâce à des stages de torréfaction chez Belco, une entreprise qui importe différents cafés provenant des quatre coins du globe et qui avait le vent en poupe. En 2016, il y a eu la création d’une catégorie MOF (Meilleur Ouvrier de France) dédiée aux torréfacteurs. Cela entraînera peut-être des ouvertures d’écoles de torréfaction par la suite, car pour l’instant il n’y a pas beaucoup de propositions.

Une fois formé, j’ai bénéficié d’une aide de l’Etat pour monter mon entreprise, après avoir demandé une rupture conventionnelle.  Il a fallu environ deux ans afin de concrétiser le projet. Mon associé Sébastien était auparavant contrôleur de gestion, ce qui m’arrange bien car je ne suis pas du tout matheux ! Il était également en reconversion, dans le domaine de la restauration. En discutant, on s’est rendus compte qu’on avait tout intérêt à travailler ensemble. Je pense qu’une association a toutes les chances de réussir lorsque les associés n’ont pas les mêmes compétences. 

En novembre 2015, la décision fut prise de se lancer. Le 1er septembre 2016, je ne faisais plus partie des effectifs de mon ancienne entreprise, et le 25 novembre, on ouvrait notre coffee shop «Bourbon d’Arsel » dans le centre de Rennes. Ce nom a pour origine les premiers caféiers français qui ont été plantés par Guillaume d’Arsel sur l’île Bourbon (ancien nom de la Réunion). Sur place, nos clients peuvent acheter et consommer du café torréfié par nos soins, ainsi que d’autres boissons (thé, jus de fruits…). Ils peuvent également se restaurer à l’heure du déjeuner et du goûter (tartes, salades, gâteaux…). 

Aujourd’hui, 60% de notre chiffre d’affaire mensuel provient des professionnels (vente de cafés mais également de machines, pour des bureaux ou des restaurants), ce qui nous a sauvé avec le Covid. On peut aussi collaborer avec d’autres entreprises, à titre d’exemple on a réalisé une bière au café avec la brasserie Skumenn et une tarte sucrée avec la boulangerie rennaise Coupel. On organise également des ateliers de dégustation, avec des tests à l’aveugle.

Comme on se diversifie, on a aujourd’hui 3 employés pour nous aider au quotidien (service, cuisine, prospection et livraison pour les professionnels). 

On a la chance d’avoir une clientèle fidèle, il y a même parfois des particuliers qui déjeunent ailleurs et qui viennent ensuite chez nous prendre leur café. 

C’est pour nous une belle reconnaissance de notre sélection et de notre travail !

On est attentifs aux souhaits et aux retours de nos clients, et on essaie de s’adapter au mieux à leurs attentes. C’est un peu comme un jeu de trouver le café qui va réellement leur convenir. 

Peux-tu nous en dire un peu plus sur ton métier et les cafés de spécialité ?

Chez Bourbon d’Arsel, on fonctionne avec une gamme permanente de cafés, récoltés maximum un an avant, ce qu’on appelle le café vert. C’est l’inverse du vin qui se bonifie avec le temps.

Autrefois, on privilégiait la quantité à la qualité. Aujourd’hui, si tu veux te démarquer et te permettre d’afficher des tarifs plus élevés, il faut au contraire mettre en avant cette qualité. Un peu comme dans le milieu viticole, le café a connu des périodes difficiles, et une des façons de rebondir a été de mettre en avant les cafés de spécialité. Aujourd’hui, ces cafés sont vraiment rentrés dans les habitudes des gens, et, il ne faut pas avoir honte de le dire, essentiellement grâce à Nespresso. Ils les ont démocratisés en les présentant au grand public et en les rendant plus accessibles.

ll y a un organisme, qui s’appelle la SCA (Specialty Coffee Association), qui note ces cafés de spécialité sur 100. Chez Bourbon d’Arsel, nous sélectionnons des cafés qui ont une note de minimum 84 au classement, qu’on va sélectionner en fonction de nos envies et des besoins de nos clients. On peut créer des assemblages, qui plaisent en général à un maximum de monde.

Comme pour le vin, on fait attention à telle variété, tel cépage. Par exemple en Ethiopie, il va y avoir des grands arbres pour protéger les caféiers, qui sont les arbustes portant les grains de cafés. Cela va permettre aux cerises (fruits du caféier, qui comportent chacune de la pulpe et deux grains de café) de mûrir doucement, ce qui est gage de qualité. 

Concernant la récolte, il y a deux méthodes : le picking (sélection manuelle) et le stripping (sélection mécanique).

Une fois les cerises de café récoltées, elles vont être préparées selon trois méthodes en fonction de ce qu’on recherche (acidité, teneur…) : nature (on les laisse mûrir au soleil, ce qui donne un peu plus de corps), lavée (on ne garde que le grain, qui va fermenter dans l’eau, ce qui va donner un peu plus d’acidité), honney (entre les deux, pour des raisons écologiques).

Après, les grains sont mis dans des sacs qui viennent des différents coins du monde, puis affrétés par bateau. Ils passent par un sourceur (Belco pour nous), mais aussi par les exploitations de café directement (on les appelle des fermes).

Concernant la torréfaction, c’est un vrai apprentissage, car il existe différentes variétés botaniques selon leur altitude, qui nécessitent des torréfactions différentes. Le café ne peut être cultivé qu’entre les deux tropiques, pour des raisons climatiques. Au Brésil, c’est en majorité de l’arabica (au-dessus de 800m). Au Vietnam, c’est en majorité du robusta (en-dessous de 800m). Mais cela n’est pas forcément gage de qualité. En Ethiopie par exemple, pays d’origine du café, il existe de très beaux cafés, plus complexes aromatiquement.

Ce que les gens ne savent pas, c’est que les cafés d’altitude sont moins chargés en caféine, qui est une protection contres les insectes. Donc par définition, les caféiers plus bas sont plus attaqués par ces insectes, donc plus chargés en caféine. Et lorsqu’on est sensible à la caféine, contrairement aux apparences, il vaut mieux privilégier un espresso qu’un café long, qui est souvent plus chargé en caféine, comme c’est le cas pour les cafés américains. Plus il est soluble à l’eau, plus il a de caféine.

Quels sont tes projets ?

La refonte de notre site internet, qu’on externalise. 

La labellisation bio, indispensable aujourd’hui.

L’embauche d’autres salariés pour prendre le relai concernant la torréfaction et le commercial.

Que ferais-tu différemment ?

Concernant notre clientèle de professionnels, je prospecterai davantage, dès le début.

Comment surpasses-tu tes moments de doute ? 

J’écoute, je prends du recul. Je suis plutôt quelqu’un qui réagit à chaud et l’entrepreneuriat m’a aidé à être moins sanguin.  

Qu’est-ce que cela exige de toi ?

Cette prise de recul, et du temps, en sachant qu’au début on travaille deux fois plus qu’avant en étant payé deux fois moins ! 

Quand on est entrepreneur, la fausse idée est de croire que cela va nous rendre libre. C’est l’inverse, on est enchaîné à son boulot.  J’espère que ma famille n’en souffre pas trop, d’autant plus que tout ça, je le dois à ma femme. C’est elle qui me soutient, qui m’accompagne. 

Quelles sont les valeurs qui guident tes décisions ?

La famille, l’honnêteté, la réactivité, l’efficacité, la passion.

Je me suis rendu compte que la plupart des personnes qui réussissaient dans ce métier sont des passionnés. La clé, c’est de travailler sans avoir l’impression de travailler. 

Quels sont les enseignements que tu retiens de ces dernières années ?

Si c’était à refaire, je le referai sans hésiter une seconde! Je trouve cela génial. Chaque matin, je me demande quelle va être ma journée, et c’est assez excitant. Même si parfois, c’est pour affronter des problèmes, mais ça c’est la vie !

Un ami m’avait dit un jour : « Quand on créé une boîte, c’est un peu comme un enfant qui apprend à marcher : au début, cela va lui sembler difficile, mais après, au fur et à mesure, les pas deviennent de plus en plus faciles. » C’est en effet une super école pour apprendre à mieux se connaître, à se surpasser et à gagner en confiance en soi.